Réunion
du 15-09-2009
Passage des chaînes de forçats à Grenade
L’histoire de la chaîne se confond avec la vieille histoire du recrutement des galères. Jusqu’à la fin du XVe siècle, les rares bâtiments en service peuvent se contenter d’une chiourme assez restreinte, composée d’esclaves achetés sur les marchés méditerranéens et aussi de rameurs soi-disant volontaires mais en fait enrôlés de force. Au XVIe siècle, la monarchie française, considère l’existence d’une flotte puissante en Méditerranée comme l’instrument nécessaire à l’aboutissement de ses projets. Le roi autorise donc les capitaines des galères à se fournir dans les prisons. Dès le début du XVIIe siècle, pour plus d’efficacité, l’état organise lui-même le convoyage des forçats vers les galères. Un convoyeur, nommé conducteur général, passant un contrat avec l’administration royale, est désormais chargé d’extraire des prisons les condamnés aux galères et de les conduire jusqu’à destination, le port de Marseille jusqu’en 1624, puis celui de Toulon par la suite.
Colbert quadrille la France de trois grandes chaînes. Partant de Paris, la première draine toute la moitié nord du Royaume. Naissant à Rennes, la seconde, la plus terrible, tire les condamnés de l’Ouest jusqu’à la Méditerranée dans un périple de plus de huit cents kilomètres. Les forçats de la chaîne de Guyenne, quittent Bordeaux, traversent le Sud-Ouest en suivant la Garonne, et de Toulouse rallient la Méditerranée.
« Acheminer les galériens n’est qu’une des fonctions de la chaîne. En organisant les convois de forçats, l’Etat monarchique poursuit plusieurs objectifs complémentaires. Le voyage est pour le condamné l’une des étapes de la sanction, long chemin de croix le menant lentement vers le lieu de son supplice. La chaîne doit infliger la douleur et engendrer l’effroi afin de terrifier ceux qui ont brisé les liens sociaux qu’impose la vie collective. La chaîne se révèle à cet égard d’une redoutable efficacité.
Mais la fonction de la chaîne comme instrument disciplinaire ne réside pas seulement dans les douleurs qu’elle inflige au corps du criminel. Elle est aussi un théâtre ambulant faisant de la sanction un spectacle offert à la France tout entière. Comment mieux rendre visible et manifester à tous les sujets la puissance du roi, son pouvoir de punir et protéger, qu’en faisant circuler sur les grandes routes du royaume ces lents convois portant des centaines de criminels abattus et humiliés, livrés aux insultes des passants. »(1)
Un
gros carcan triangulaire en fer passé autour du cou et scellé à froid à coups
de masse, chaque individu est relié à un autre, choisi en fonction d’une
similitude de taille ou, tout simplement, de façon aléatoire, suivant l’ordre
alphabétique. La chaîne reliant les deux forçats est elle-même fixée entre eux à
une autre plus grosse. Vingt-six ou vingt-huit hommes sont reliés pour former
ce que l’on appelle une « chaîne », et resteront ainsi liés nuit et
jour pour la durée du trajet, soit un mois ou un mois et demi.
Les chaînes représentent pour chacun des
forçats de quinze à vingt kilos de fers.
Dans
notre région les chaînes passent soit sur la grand route par Castelnau
d’Estrètefonds et St Jory, soit par Grenade, en utilisant divers moyens de
locomotions. Les déplacements se font, en principe, sur des charrettes ou sur
des bateaux. Les déplacements en charrette sont extrêmement pénibles. Assis,
serrés les uns contre les autres, presque incapables de bouger, secoués
douloureusement, bon nombre de forçats demandent à marcher à pied. Mais les
déplacements à pied sur de longues distances sont évités le plus possible.
Les déplacements en bateaux, sont aussi extrêmement pénibles. En raison des retards occasionnés par des eaux trop basses ou les intempéries, le voyage sur l’eau peut durer très longtemps. Pour gagner du temps les forçats ne sont pas toujours débarqués aux étapes. Sur les gabarres, la liberté de mouvement est nulle du fait de l’absence d’espace et les condamnés demeurent donc assis ou couchés toute la journée. Ce mode de transport compromet gravement la santé des galériens qui restent jour et nuit dans une atmosphère humide, ce d’autant que l’eau qui pénètre constamment dans les bateaux gâche la paille. La promiscuité et le manque d’exercice accroissent les tensions entre les galériens générant ainsi une violence quasi permanente.
La
somme attribuée par l’état au conducteur général des chaînes pour
l’acheminement des forçats ne couvre qu’une partie des frais de l’opération. La
nourriture, l’hébergement, les transports, les soins éventuels ainsi qu’une partie
de la garde, sont à la charge des territoires traversés, ce qui occasionne le
mécontentement des consuls des villes étapes, voire de vifs conflits entre
ceux-ci et les conducteurs de chaînes.
Quand
des galériens passent des hommes sont désignés et équipés en hâte, formés en
compagnie de mousquetaires par les consuls pour relever la compagnie du village
voisin.
La
nourriture des condamnés est à la charge de la communauté qui leur donne une
soupe à l’huile, du pain et du vin et éclaire leur prison. (2)
RUMEAU mentionne dans son inventaire des archives communales (3):
Le 10 mars 1665, le sieur Delort, conducteur des galériens, demande 30 hommes et quatre charrettes pour les conduire à Toulouse. Les consuls préfèrent lui donner 30 livres afin de n’avoir pas à s’occuper de cette corvée. La même année, le lendemain de la St Luc les consuls doivent payer la dépense d’une quarantaine de galériens qui passent en ville.
Le 8 mai1667 des forçats
passent à Grenade d’où une dépense de 30 livres 16 sols « pour la soupée
du commissaire desdicts forçats, pouldre et plomb pour lescorte d’autres
soldats et charretiers, a la conduite ou pour présant faict audict commissaire
pour desloger ce soir »
Le 18 septembre 1672 suivant l’ordre des sieurs d’Aguesseau, intendant de Bordeaux, et de Sève, intendant de Guyenne, vingt hommes sont fournis pour tirer la corde du bateau au sieur Rogier, capitaine d’une chaîne de forçats. La même opération se renouvelle le 8 octobre 1673 et le 16 juin 1675.
Le 22 septembre 1675 on fournit encore bateau, bois et chandelles, plus 20 livres au commissaire chargé de la chaîne.
Le 29 novembre 1676 le passage de la chaîne des forçats occasionne une dépense de 15 livres. Par ordre de l’intendant, les consuls logent le sieur Roger, qui conduit cent quatorze galériens; ils fournissent en outre six gardes la nuit, douze hommes, deux bateaux pour les conduire à Toulouse, huile, chandelles et paille.
On note des passages de chaînes les 1er mai 1678, 3 avril 1679, 5 juillet et 6 décembre 1682, 21 décembre 1683, 5 octobre 1692, 19 septembre 1694. Le 24 juin 1714, pour l’occasion M. Deagia, un des consuls, fait confectionner des menottes en fer. Le 19 juillet 1716, quinze hommes sont chargés d’aider à monter le bateau des forçats, depuis la Jouclane jusqu’à l’abbaye de la Capelle, suivant l’usage ; on donne 10 sols à chacun.
Le 16 janvier1724 on fournit 26 hommes pour la conduite des bateaux de la chaîne des forçats
jusqu’à la Capelette ; plus fourniture de chandelles, poudre, plomb, bois et paille.
Le 8 février 1726, le sieur Tauzin refuse de payer les hommes armés de fusils et les tireurs de corde de la chaîne des forçats fournis par la communauté. Le consul Daram, revêtu de ses insignes, les accompagne jusqu’à la limite de la juridiction. Les hommes fournis réclament leur salaire avant d’aller plus loin. Tauzin répond par des coups de crosse des fusils donnés par ses gardes. Le sieur Daram veut se récrier contre le procédé, mais à son tour il est maltraité. On lui dit que l’on se f… de sa livrée consulaire, et en même temps Tauzin le menace du pistolet en le mettant en joue.
Procès-verbal est transmis au procureur général de Toulouse.
Le 7 juin1733 on fournit 36 hommes dont 26 tireurs de corde et 10 fusiliers ce qui occasionne une dépense de 14 livres 7 sols 6 deniers.
On requiert également 22 tireurs de corde le 23 mai 1734, et 30 le 13 octobre 1764
Dans les années 1830, dans une partie de l’opinion, le terrible spectacle de la chaîne, loin d’être jugé salutaire, devient un élément à charge contre l’administration, le gouvernement, voire le système libéral qui triomphe avec la monarchie de Juillet.
L’opposition à ce mode de transfert des prisonniers devenant de plus en plus impopulaire, le roi signe une ordonnance le 30 décembre 1836 concernant le transport des forçats aux bagnes. Cette ordonnance dit : Le service des chaînes pour le transport des forçats aux bagnes est supprimé à compter du 1er juin 1837 au plus tard.
A l’avenir, les criminels condamnés aux travaux forcés seront transférés, sans distinction de durée de peine, dans les bagnes de Brest, Rochefort et Toulon.
Leur transport s’opèrera par des moyens accélérés, dans des voitures fermées et à l’abri des regards.
(1) La chaîne des Forçats. Ed. Flammarion par Sylvain RAPPAPORT
(2) Histoire de Saint-Jory par Jean CONTRASTY
(3) Inventaire sommaire des archives communales de Grenade par R. RUMEAU